[2ème Partie] Mémoire du Dr Benjamin TAISNE, dans le cadre du D.I.U. de Nutrition
1) Apports protéiques pour le sportif d’endurance.
1.1 Dégradation des protéines et des acides aminés. Pendant et après les exercices de longue durée, l’intégrité des structures protéiques est altérée (oxydations par les atteintes radiculaires, microlésions membranaires, réactions locales types inflammatoire), d’où dégradations ou pertes protéiques. Des acides aminés peuvent servir de substrat énergétique par catabolisme oxydatif de leur chaîne carbonée.
Le taux d’urée plasmatique, bien représentatif de l’oxydation des acides aminés, qu’ils proviennent du muscle ou du foie, avec l’élimination des radicaux aminés par l’uréogénése hépatique, augmente avec la durée de l’exercice. La production d’urée est d’autant plus importante que les réserves glycogéniques musculaires sont plus faibles en début d’exercice, traduisant ainsi une oxydation accrue des acides aminés. Elle s’ajoute à celles des acides gras, augmentée, et du glucose, diminuée. La participation des protéines et des acides aminés à l’énergétique musculaire peut aller de 5 à 15%, augmentant avec la durée de l’exercice et la diminution des réserves en glycogène musculaire.
L’augmentation, plus particulièrement après l’exercice, des taux plasmatiques et urinaires de 3-méthyl-histidine, marqueur de la dégradation de protéines contractiles, démontre leur catabolisme accru, s’ajoutant à celui des protéines sarcoplasmiques pendant l’exercice.
L’augmentation de l’activité plasmatique de la créatine kinase et d’autres enzymes d’origine musculaire, pendant et après l’exercice, est le témoin de perturbation dans la perméabilité du sarcolemme, avec une perte de protéines actives par le muscle. Ces lésions sont d’origine biochimique, dégradation de protéines membranaire du fait de la production de radicaux libres oxydants, et d’origine mécanique, microdéchirures des fibres musculaires du fait des contraintes mécaniques, d’où fuite d’éléments intracellulaires, parmi lesquels des protéines dont le catabolisme est accru ; cela est particulièrement important lors d’exercices excentriques, contraction du muscle avec allongement (course en descente, musculation avec étirement musculaire), avec des délais différents selon le type de marqueur utilisé.
L’augmentation de la dégradation des protéines, observée pendant l’exercice de longue durée, peut s’accompagner d’une diminution des qualités fonctionnelles du muscle pendant 3 à 16 semaines ; elle devrait être prévenue au mieux. Les protéines dégradées devront être remplacées : les besoins protéiques sont donc augmentés d’autant.
De façon inconstante, il est observé une protéinurie d’exercice, le plus souvent physiologique et de faible importance.
1.2 Synthèse protéique.
Etudiée par la technique de perfusion de faibles quantité d’acides aminés traceurs marqués avec des isotopes stables, elle diminue modérément pendant l’exercice. Elle augmente dés sont arrêt, proportionnellement à l’insulinémie. Celle-ci, après une diminution pendant l’exercice, revient à ses valeurs initiales rapidement après la fin, puis les dépasse, moment le plus favorable à la resynthèse des protéines dégradées, tout comme des réserves de glycogène. L’augmentation de la protéosynthèse peut se poursuivre sur plusieurs jours. Elle dépend de l’apport alimentaire en protéines, en eau, en glucides (fournissant l’énergie pour l’incorporation des acides aminés dans les protéines) et en divers micronutriments, apportés par l’alimentation courante.
1.3 Bilan azoté et besoins protéiques.
Les besoins peuvent être évalués à partir de l’étude du bilan azoté, différence entre les apports alimentaires en protéines et l’élimination de toutes les substances azotées par les voies urinaires, fécales et sudorales. Ce bilan global convient pour définir les besoins du sportif d’endurance, bien que l’étude de flux ou d’autre critères fonctionnels permettrait de mieux préciser comment intervenir sur ces besoins et ensuite les combler.
Lorsque des personnes sédentaires, au bilan énergétique équilibré, débutent un programme d’exercices, leur bilan azoté, préalablement équilibré par 1gr d’apport protéique par kg de poids corporel et par jour, se négative de façon transitoire pendant 2 semaines environ, du fait de lésions des fibres musculaires les plus fragiles. Si l’apport protéique est élevé à 1.5 g/kg/j, le bilan azoté est équilibré.
De même pour une quantité de travail identique, les besoins protéiques seront supérieurs si les exercices sont plus intenses ou comportent des phases excentriques, plus contraignantes pour les fibres musculaires. En cas d’apport glucidiques insuffisant (objectif d’amaigrissement) pour couvrir les besoins de dépense énergétique et de recharge des dépenses des réserves de glycogène musculaire, le bilan azoté est plus difficilement équilibré et l’apport protéique doit être augmenté. Mais cela s’accompagne d’une production accrue d’urée, avec l’inconvénient d’une sollicitation plus forte des fonctions hépatiques et rénales. Au contraire, en cas d’apports élevés en glucides, les besoins en protéines sont apparemment moindres, mais ceux en acides aminés indispensables semblent se maintenir. L’apport protéique conseillé doit donc, hors état pathologique, être respecté.
Des études de comportement alimentaire, avec bilans alimentaires par questionnaires, ont montré que la part des protéines dans l’AETQ est augmentée pendant la semaine qui suit une course de très longue durée (100 km), passant de 14% (avant) à 17% de l’AETQ (lui-même augmenté spontanément d’environ 100kcal/j), soit de 1.5 à 2 g/kg/j.
De plus, un appétit spécifique pour les protéines apparaît à l’issu de telles épreuves ; l’ingestion de protéines, en quantité significative (1g/kg) pour le satisfaire, n’a pas eu d’effets délétères sur les marqueurs utilisés (urée, acide urique). Dans un groupe de biathlètes, si les protéines sont en libre choix, le bilan azoté est équilibré ou positif pour un apport de 2.7 à 3.1 g/kg/j avec une perte azotée urinaire élevée. Si les protéines ingérées sont de haute valeur biologique, un apport de 2.2 à 2.6 g/kg/j suffit.
1.4 Apports protéiques conseillés.
L’objectif à retenir est l’obtention d’un équilibre physiologique entre pertes et apports protéiques. A partir d’une étude comportant l’ingestion de différentes quantités de protéines et la mesure de l’excrétion azotée correspondante, Tarnopolsky et al (1998) ont démontré que l’apport protéique permettant d’équilibrer les pertes azotées chez la quasi-totalité d’un groupe de sportifs d’endurance était de 1.5 à 1.7 g/kg/j.
L’apport conseillé comporte une marge de sécurité, destinée à prendre en compte les différences interindividuelles importantes de digestibilité, de biodisponibilité et d’assimilation, ainsi que de qualité des protéines ingérées. Pour une population sportive de loisirs, pratiquant activité physique ou sportive régulière, d’intensité et de dépense énergétique modérée, par exemple 3 fois ½ heure à 1 heure par semaine, les besoins seront couverts par les ANC pour la population générale correspondante.
Cependant, pour les sportifs entamant pour la première fois une activité physique ou sportive, les apports peuvent être élevés à 1.5 g/kg/j pendant les 2 premières semaines. Pour les coureurs de longue distance, pratiquant au moins 1 heure par jour et plus de 3 fois par semaine, avec une intensité parfois élevée, l’ANC est de 1.5 à1.7 fois celui de la population générale correspondante, voire 2 fois en cas de volume entraînement très élevé en course à pied. L’apport protéique correspond à 12-16% de l’AETQ équilibrant les dépenses énergétiques ; il est couvert par les aliments courants du commerce, dans le cadre d’une alimentation équilibrée et diversifiée.
2) Apports protéiques pour le sportif de force.
L’objectif pour les sportifs pratiquant des sports de force ou à but de développement de la masse musculaire n’est pas seulement d’équilibrer le bilan azoté, mais de le rendre positif, puisque augmenter la masse musculaire implique d’élever la quantité de protéines qui y est stockée.
2.1 Dégradation et synthèse protéique.
Après un entraînement type haltérophile, l’excrétion urinaire d’urée et de 3-méthyl-histidine augmente, témoin de la dégradation accrue de protéines sarcoplasmiques et myofibrillaires. Il lui fait suite une augmentation de la synthèse protéique musculaire, bien démontré par le prélèvement accru de l’ensemble des acides aminés plasmatique par les muscles sollicités, en particulier dans les heures qui suivent l’exercice de force.
L’efficacité de l’accrétion protéique musculaire dépend d’abord de la qualité entraînement et aussi de l’apport protéique .La rétention protéique supplémentaire est d’autant moins efficace que les apports protéiques sont plus élevés. Par ailleurs, des apport suffisants en glucides ainsi qu’en eau sont nécessaires à une synthèse protéique élevée. Les apports en lipides peuvent être réduits jusqu’à 15% de l’AETQ (équilibrant les dépenses nettement augmentées) en respectant l’apport en acides gras essentiels. Les protéines peuvent représenter alors 20 à 40% de l’AETQ.
2.2 Apports protéiques conseillés.
Finalement chez le sportif de force : -s’il s’agit de maintenir la masse musculaire, les apports protéiques pour équilibrer le bilan azoté, dits apports de sécurité, sont estimés à 1 – 1.2 g/kg/j. -s’il s’agit de développer la masse musculaire, le bilan azoté doit être positif. A partir d’études expérimentales, d’enquêtes alimentaires et de suivi de santé auprès de population de sportifs de force, il semble possible de conseiller 2 à 3 g/kg/j, soit 20 à 40% des AETQ, pendant des périodes ne dépassant pas 6 mois par an, et sous contrôle médical.
Au moins les 2/3 de ces apports protéiques doivent être couverts par les aliments courants, le reste par des suppléments ( pas plus de 1g/kg/j), sous forme de protéines de haute valeur biologique (avis du CEDAP du 14 sept 1994)), hydrolysats de protéines ou mélanges totaux d’acides aminés n’apportant pas de bénéfices supplémentaires (avis du CEDAP du 22 mai 1996). L’ingestion de glucides (50% de l’AETQ) et d’eau (au moins 1.7 ml/ kg/j de protéines) doit être suffisante, ainsi que de micronutriments d’assimilation, habituellement contenus dans l’alimentation équilibrée et diversifiée.
Des apports supérieurs, de 3.5 à 5 g/kg/j, parfois constatés ou abusivement conseillés, ne sont pas justifiés en terme d’efficacité, d’après les publications scientifiques reconnues, et font de plus courir des risques pour la santé avec augmentation de l’élimination urinaire d’azote et de calcium.
2.3 Besoins en acides aminés (AA).
Y a-t-il des besoins spécifiques en certains AA, alors que quelques-uns ont un métabolisme particulier à l’exercice ? Les mélanges équilibrés d’AA, provenant de la seule hydrolyse poussée de protéines courantes du commerce, sans aucun ajout, ne différent pas significativement de leur protéine d’origine dans leur composition chimique et dans leurs propriétés physiologiques, hormis une biodisponibilité peut-être un peu différente, les avis dans ce domaine n’étant pas unanimes.
Lors d’exercices aérobies de très longue durée, avec de faibles apports glucidiques, l’oxydation des acides aminés à chaîne ramifiée (AACR) est augmentée de façon significative ; rappelons que cette situation, à la limite de la physiologie, est peu souhaitable au plan de la santé. Les besoins en leucine peuvent s’élever à 30 mg/kg/j lors de la pratique régulière d’exercices aérobies, excédant alors des quantités minimales d’apports conseillées, avec un apport de sécurité estimé à au moins 45 mg/kg/j.
Mais le contenu en leucine des protéines, de 5 à 10%, permet de respecter l’apport de sécurité conseillé dés l’ingestion de 0.9 g/kg/j de protéines, valeur largement incluse dans les ANC en protéines chez le sportif d’endurance. Aucune complémentation en leucine n’est donc nécessaire. Une supplémentation en AACR a pu être proposée pour les exercices de longue durée, pour corriger leur éventuelle baisse plasmatique ; celle-ci pourrait interférer avec la pénétration du tryptophane dans le système nerveux central, impliqué dans la survenue de la fatigue centrale, dont on cherche à retarder l’apparition.
Mais l’avis du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE), émis en 93 est « de protéger les sportifs des éventuelles conséquences pathologiques de leur pratique… et de respecter les symptômes d’alerte, ceci pour porter remède aux causes des déficits, et non pas de les compenser, tout en maintenant les conditions qui les ont provoquées, ceci pouvant être préjudiciable à la santé des sportifs ». les effets bénéfiques de supplémentation en AACR sur les performances restent largement controversés, alors même qu’elles s’accompagnent d’une augmentation de l’ammoniémie considérée comme délétère pour la santé.
Aucune supplémentation n’est actuellement justifiée (avis CEDAP du 18 juin 1997). Par ailleurs, la déficience immunitaire observée lors d’exercices répétés de longue durée, avec survenue possible de syndromes infectieux, a été mise sur le compte de la diminution de la disponibilité en glutamine. Une supplémentation en glutamine, pouvant servir de substrat principal du métabolisme des lymphocytes participant aux défenses immunitaires de l’organisme, a été proposée. Mais il s’agit là encore d’une situation consistant à corriger les effets et non la cause, relevant alors de l’avis du CCNE.
Egalement, les effets de supplémentation en tyrosine ont été suivis, dans différentes situations de contrainte, de stress ou sous l’angle des performances, par la mesure de la production et de la sécrétion de catécholamines cérébrales, mais sans l’étude d’indicateurs spécifiques de santé, rentrant de fait dans le champs visé par l’avis du CCNE.
Enfin, chez l’homme sain et par extension chez le sportif de force, la libération d’hormone de croissance sous l’ingestion orale d’AA sélectifs comme l’arginine, l’ornithine ou la lysine, aurait été obtenue à de très fortes doses, atteignant 15 à 20g et plus. De fait, il s’agit de doses pharmacologiques, les effets étant inconstants et les risques pour la santé réels, il s’agit aussi d’une incitation au dopage.
C’est pourquoi, il a été considéré, « qu’il n’existait pas de actuellement de travaux scientifiques confirmés permettant d’alléguer un quelconque effet bénéfique de l’ingestion d’un ou de quelques acides aminés chez le sportif » (avis du CEDAP du 18 juin 1997).
Lire aussi :
Bibliographie
Quels
apports nutritionnels
pour le sportif
? [1ère
Partie]