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Conflit postérieur de cheville chez le danseur

Après le genou (28%), la cheville est la zone anatomique la plus touchée (21%) par les blessures et les douleurs dans la danse de ballet.

Parmi ces atteintes à la cheville, le conflit postérieur, également appelé syndrome du carrefour postérieur, est fréquemment rencontré. C’est un ensemble de pathologies mécaniques du tarse postérieur suite à la mise en charge (répétée ou isolée/traumatique) de la cheville postérieure en flexion plantaire (extension de cheville).

Symptômes du conflit postérieur de cheville

Le danseur est amené à ressentir d’importantes douleurs en avant du tendon d’Achille et en arrière de la cheville, essentiellement dans une position de flexion plantaire. Elle est accompagnée d’une limitation de cette flexion plantaire et d’une grande appréhension à reproduire ce geste. La montée et descente des marches d’escalier peut reproduire la douleur. La marche est généralement normale.

La douleur est fréquemment retrouvée lors du travail sur pointes, en demi-pointes, lors de dégagés et de sauts (propulsion et début de réception). Cette position de flexion plantaire majore le risque d’écrasement des éléments se trouvant dans la zone entre le haut du talon (calcanéum) et le bas du tibia. Comme un casse-noisette, une tenaille.

Parfois, des douleurs de conflit postérieur peuvent découler d’un étirement intense des structures postérieures lors d’une flexion dorsale maximale de cheville.

Parmi les éléments impliqués, on distingue :

A : articulation de la cheville droite, vue supérieure (de haut). B : vue postérieure de cheville gauche (arrière).

Les mécanismes peuvent être micro traumatiques/chroniques (répétition de mouvements en flexion plantaire de cheville) ou traumatiques/aigus (comme un mouvement brusque en hyper flexion plantaire venant violemment comprimer les tissus, après des entorses de ligament talo-fibulaire antérieur de la cheville par exemple).

Le plus souvent ce sont les tissus mous qui sont concernés. Ils sont alors le siège d’inflammations amenant parfois à une augmentation de liquide dans la zone ce qui amplifie le phénomène de compression et donc de douleurs.

De leur côté, les tissus durs peuvent être impactés et amener contusions osseuses, fractures de stress, fractures vraies, périostite, arthrose.

A : vue latérale (externe) de cheville gauche. B : vue médiale (interne) de cheville droite.

Le diagnostic clinique

De façon simple, le danseur peut suspecter un conflit postérieur de cheville si :

Un médecin et/ou un masseur-kinésithérapeute spécialisé pourra confirmer ces éléments diagnostics et les compléter par une recherche de la douleur caractéristique via des tests cliniques :

N.B. : Une injection anesthésique ciblée avec soulagement de la douleur peut aussi s’avérer être un élément diagnostique utile.

Diagnostic différentiel

Il est fréquent de diagnostiquer une tendinopathie d’Achille alors que la problématique se trouve être un conflit postérieur. Généralement, un simple diagnostic différentiel est suffisant : l’apparition d’une douleur à la palpation du tendon et à la flexion dorsale caractérise une souffrance du tendon d’Achille ; une douleur à la flexion plantaire évoque le conflit postérieur de cheville.

A l’inverse, d’autres éléments peuvent être confondus avec un conflit postérieur de cheville : l’arthrose, les fractures aiguës du processus talien postérieur, la ténosynovite du long fléchisseur de l’hallux, le syndrome de Haglund, les lésions ostéochondrales et la bursite rétrocalcanéenne.

L’apport de l’imagerie

A l’heure actuelle, de façon empirique et scientifique :

il n’existe pas de lien systématique entre les symptômes et les résultats d’imagerie !

Une attention trop poussée sur de potentielles anomalies observées sur les imageries représente un risque pour l’athlète et sa rééducation. En se focalisant trop sur ce qu’il voit, l’athlète est amené à se bloquer sur ces images et, ainsi, est susceptible de cristalliser d’éventuelles douleurs présentes et risque d’avoir des peurs disproportionnées à réaliser certains mouvements et exercices (c’est ce que l’on appelle la kinésiophobie). En l’absence d’atteintes tissulaires graves (osseuse par exemple), il est préférable de se référer aux signes cliniques plutôt qu’à l’imagerie pour optimiser ses capacités de récupération.

Il faut également être vigilant à une opération précipitée sur simple constat d’imagerie. Le danseur pourra alors solliciter l’avis de différents professionnels de santé avant toute intervention.

La radio permet de mettre en évidence d’éventuels facteurs que l’on croyait auparavant favorisants (os trigone, processus de Stieda, ostéophytes) ainsi que des éléments diagnostics (fractures). Elle doit être effectuée en position neutre et en position traumatisante, c’est-à-dire, chez les danseurs, en position pointe ou ½ pointe, en charge.

A la radio, on associe si possible l’IRM plutôt que l’échographie, plus précise et plus complète. Synovite articulaire, ténosynovite du long fléchisseur de l’hallux (LFH), œdème osseux, lésion cartilagineuse seront des éléments qui seront ainsi parfois retrouvés.

Parfois, d’autres examens  pourront intervenir en fonction des éléments recherchés par le médecin : scanner et arthroscanner, scintigraphie osseuse, tomodensitométrie.

Cliché radio en vue médiale (interne) : 1) cheville gauche, 2) cheville droite.

Le traitement du conflit postérieur de cheville

Mesures conservatrices

Le traitement de première intention consiste en des mesures conservatrices (et non, pour rappel, opératoires).

Exemple de technique de contention/straping en décompression tibio-tarsienne (référence : organisme Kinesport).

Exemple d’une technique de décoaptation tibio-tarsienne par traction de la cheville dans l’axe réalisé par un thérapeute manuel (kiné, ostéopathe,…) – (référence : Kinesport)

Renforcement musculaire spécifique

Principalement muscles du mollet, des intrinsèques du pied, de la hanche. Effectuer un travail en force, en endurance, en résistance et en explosivité. En charge, avec élastiques et autre matériel de musculation.

Travail en endurance des mollets. Tous les jours, effectuer au minimum 25 à 30 répétitions de lever en ½ pointe, genou en extension pour cibler les muscles gastrocnémiens. Si les 25 ne sont pas encore faisables, s’entraîner avec le maximum de répétitions possibles.

Les élastiques sont particulièrement intéressants pour cibler les muscles de la jambe et des intrinsèques du pied (ex. ci-dessous).

Renforcement des fléchisseurs plantaires de cheville et des fléchisseurs d’orteils.

Biomécanique et proprioception

Par exemple dans l’exercice précédent de montée sur ½ pointe : être progressif dans les montées-descentes et en position neutre de cheville, dans l’axe (photo 1), en évitant une pronation (photo 2) ou une supination excessive (photo 3) excessive. Intérêt également du travail du contrôle en fin d’amplitude de la flexion plantaire en charge (fin de la montée de talon, début de la descente).

Photo 1 : Axé / Photo 2 : Pronation / Photo 3 : Supination.

Travail de stabilité sur plan incliné en soutien de la flexion plantaire de cheville en charge. Puis augmentation des difficultés.

Exercices dynamiques

Course à pied, course dans les marches d’escalier, sauts, pirouettes, … Varier les exercices et se rapprocher des pratiques spécifiques du danseur. Privilégier ainsi des surfaces stables. Là aussi, importance de la progressivité des exercices et des activités proposées. Vigilance à bien doser la juste charge de travail.

La course dans les marches d’escalier présente de forts intérêts dans la réhabilitation du pied et de la cheville blessés ainsi que pour la prévention de blessures (ici, les 374 marches des 194 mètres de l’escalier de la montagne de Bueren à Liège, à 28% de pente moyenne).

Augmenter les difficultés, par exemple en fermant les yeux ou en y associant des exercices en double tâche (focalisation sur un objet, sur une tâche cognitive, etc.). Sont présentés plus bas des exemples d’exercices de rééducation spécifique.

Exercice de mobilité de cheville, de renforcement spécifique et de proprioception, en appui sur côté sain puis atteint. Les yeux sont fermés.

► S’il n’y a pas d’améliorations satisfaisantes via le traitement conservateur au bout de plusieurs semaines, une infiltration de corticoïdes au niveau du carrefour postérieur et de l’articulation subtalaire peut être envisagée. Tester alors la flexion plantaire dans l’heure avant l’infiltration puis dans les 20 à 60 min. après et chercher d’éventuels bénéfices sur la gêne, la douleur et l’amplitude.

► S’il n’y a pas d’amélioration après 3 mois de traitement conservateur et d’infiltration (40% des cas) ou s’il y a une présence d’une atteinte le nécessitant, une chirurgie sera envisagée (arthroscopie, chirurgie à ciel ouvert). Ceci à visée antalgique et non à gain d’amplitude ! Il sera alors important de commencer rapidement une rééducation, parfois de plusieurs mois, avec mobilisations précoces et, là encore, remise en charge progressive.

N.B. : Le type d’accompagnement des thérapeutes est primordial. Ils pourront, par exemple, partager des explications au niveau de l’anatomie et de la physiologie, des étapes du processus de la réhabilitation et de ses impacts psycho-émotionnels, de l’importance de tels et tels types d’exercices à réaliser tout au long de la rééducation, etc. Cela favorise la mise en confiance et l’implication du danseur blessé améliorant ainsi ses capacités de récupération.

Une communication honnête et réciproque est importante entre le praticien et le danseur et ce, tout au long des différentes phases de la rééducation.

Conduite à tenir

D’une façon générale, en cas de douleurs persistantes ou brusquement très intenses, de ressenti de craquement, d’arrachement et de chocs violents, il est important d’en faire part rapidement à votre professeur de danse/votre chorégraphe/vos partenaires ainsi qu’à un professionnel de santé, le médecin en premier lieu si possible.

Fréquent et fort invalidant, ce conflit postérieur doit amener l’athlète et le thérapeute à savoir différencier ce qui relève de l’anatomie, de la surcharge d’entraînement, d’un chaussage inadéquat, d’une préparation physique inadaptée à la fatigue générale. Un travail thérapeutique et/ou préventif spécifique peut alors être envisagé avec un intérêt très fort de l’éducation du danseur à cette pathologie.

Exemples d’exercices de rééducation et de prévention

Renforcement de l’abducteur et du court fléchisseur de l’hallux (gros orteil). Sur cet exercice, il y a une poussée de l’hallux sur l’élastique positionné sous la 1ère phalange.

(En haut) Équilibre sur une puis deux cales, tenus à la barre. (En bas) Mouvements plus complexes et déséquilibrants.

Équilibre sur ½ pointe sans soutien.

Puis, varier et complexifier ces exercices, par exemple sans tenir la barre, en fermant les yeux, etc.

Fentes avec mise en charge avant sur ½ pointe partielle et complète du côté de la cheville atteinte. Une contrainte élastique augmente la sollicitation tendino-musculaire du plan interne du pied et de la cheville.

Références