Le vieillissement est une mosaïque qui affecte nos organes de manière différentielle et qui touche autant le corps que l’esprit.
Le modèle de Bouchon postule une diminution de nos capacités plus ou moins rapide en fonction de nos habitudes de vies, maladies chroniques et épisodes aigus pouvant nous faire basculer de la robustesse vers la dépendance en fonction de l’épuisement de nos réserves physiques, cognitives ou émotionnelles.
Le vieillissement est une réduction de nos capacités adaptatives et se traduit par des décompensations (physiques, thymique, mentale) et ses causes sont multiples.
La fragilité est une notion pivot du vieillissement ; c’est un état qui permet la réversibilité vers la robustesse avant de basculer définitivement vers la dépendance, c’est cet état qu’il est important de dépister avant qu’il ne soit trop tard :
- Les chutes répétées, la faiblesse des membres inférieurs (et donc la vitesse de marche) ou la puissance de préhension sont des indicateurs permettant d’identifier la fragilité physique (et cognitive). La sarcopénie, l’ostéoporose, la réduction des capacités cardiaques et pulmonaires ou encore de l’immunité et le développement d’un état inflammatoire (inflamm’aging) concourent à éroder les réserves physiques ;
- Les troubles de l’humeur ou la dépression, de la mémoire ou la réduction des capacités cognitives, les changements de personnalité ou les modifications neurologiques sont à prendre en compte sérieusement.
Le basculement du sujet robuste vers le dépendant ne se fait pas forcément par un accident mais aussi progressivement. En fait on retrouve des problématiques de déconditionnement physique proche des sportifs blessés ou des patients en traitement de cancer en plus des spécificités liées à l’âge. La génétique ne représente que 20 à 30% de la longévité, les autres facteurs étant environnementaux et l’activité physique est un de ces leviers.
Les bénéfices physique et mentaux du Taiji
Le Taiji Quan s’inscrit dans les pratiques de santé de la pensée taoïste, à la fois préventive et curative ou pour limiter les retentissements d’une pathologie sur la qualité de vie.
Nous avons abordé la présentation de cette discipline par Peter Wayne ainsi que la méta analyse de Huston et McFarlane concernant les publications sur les bienfaits du Taiji durant les 45 dernière années (500 études, 120 revues systématiques) dans un précédent article : Le Taiji, coordination des mouvements et de la respiration .
Les effets annoncés sont multiples et les bénéfices à la fois physique et mentaux ; un large spectre des problématiques du vieillissement est couvert et amélioré par la pratique du Taiji Quan.
Capacité aérobie et la force des membres inférieurs
Les chutes répétées, la vitesse de marche dégradée et un équilibre altéré sont des prédicteurs de la fragilité chez la personne âgée. La position des jambes semi-fléchies, le déplacement en lenteur, la répétition et la durée des séances permet d’améliorer la capacité aérobie et la force des membres inférieurs et donc les 3 paramètres prédictifs.
Hypertension
Certaines études plus récentes comparent cette pratique avec d’autres activités. Ainsi Chan AWK montre que le Taiji Quan est plus efficace que la marche rapide pour la réduction des risques cardiaques des patients présentant de l’hypertension.
Densité osseuse
Concernant spécifiquement la densité osseuse, une méta analyse de Liye Zou et de son équipe dédiée à ce sujet montre qu’un protocole de Taiji Quan permet de réduire la perte de densité pour des populations spécifiques (femme pré-ménopausées et ménopausées, personnes âgées, survivants de cancers ou femmes ostéoporotiques). Ils soulèvent néanmoins que des études de meilleures qualités et spécifiques sont nécessaires sur le dosage de la fréquence et de l’intensité pour déterminer les conditions optimales.
Maladie de Parkinson
Pour ce qui est de la maladie de Parkinson, la perte du contrôle du geste de manière automatique est en partie compensée par la conscientisation du mouvement qui devient volontaire par l’intention qui guide le geste de Taiji. L’université de Créteil propose d’ailleurs le DU Neuro-rééducation du Mouvement en utilisant le Taiji Quan comme pierre d’angle de la formation.
Le style Chen
Le style le plus ancien et (le plus complet) est le style Chen, les autres styles ayant travaillé des aspects plus spécifiques du Taiji Quan. Certains ont d’ailleurs abandonné des mouvements demandant trop d’efforts physiques ou trop complexes. Liye Zou et ses collègues montrent dans une autre étude que les gains sont supérieurs avec la pratique du style Chen. Les cours ont une durée habituelle de 1h ou de 1h30 et sont généralement collectifs. L’effort demandé durant la pratique est plus élevé qu’il n’y parait et le temps optimal pour les personnes fragiles semble être d’1h.
L’état de pleine conscience
La pratique du Qi Gong comme exercices d’échauffement ou préparatoires permettent à la fois d’obtenir le relâchement nécessaire à la pratique, mais aussi à développer un état de pleine conscience. Cela améliore l’apprentissage et potentialise l’entraînement puis l’exécution des enchaînements de Taiji Quan. Selon une méta analyse (Zou L, encore lui), la série des 8 pièces de brocard (Ba Duan Jin) améliore la qualité de vie, la qualité de sommeil, l’équilibre, la force de préhension (handgrip test), la flexibilité du tronc, la pression artérielle (systolique et diastolique) et le rythme cardiaque au repos.
Le travail des muscles profonds, et de la filière aérobie, est adapté pour lutter contre les différents types de fatigue. La méta analyse de Yu Xiang et de son équipe spécifiquement sur le Taiji Quan postule que son aspect doux et sa réalisation en groupe sont particulièrement bénéfique pour la fatigue nerveuse et les troubles du sommeil.
Torbjörn Josefsson analyse les mécanismes de pleine conscience dans la pratique sportive et conclut qu’elle améliore les ruminations et régule les émotions, deux symptômes psychologiques augmentés chez les personnes âgées.
L’inflammation semble réduite à la fois par les approches corps-esprits mais aussi par les exercices aérobies comme le rapportent les études de Bower JE ou de Shehab M Abd El-Kader, ce qui est un gain direct mais aussi une forme de prévention de pathologies futures dont la fréquence augmente avec le statut inflammatoire, comme les cancers ou l’arthrose.
Dans le Journal of Alzheimer’s Disease, Jing Tao et son équipe montrent que 12 semaines de Taiji Quan et Ba Duan Jin ont un effet sur le volume de matière grise (insula, lobe temporal médian et putamen), sans différence significative entre les deux pratiques allant dans le sens d’une prévention des déficits mémoriels chez les personnes âgées.
Se réconcilier avec son corps
Outre les aspects physiologiques ou mentaux abordés précédemment, la pratique du Taiji Quan permet aussi de se réconcilier avec son corps en améliorant l’image qui lui est attachée. La progression est individualisée, les comparaisons n’ont pas lieu d’être entre les uns et les autres et les réussites de chacun sont valorisées, aussi petites qu’elles puissent être. La progressivité du travail évite de mettre l’élève en échec et développe ainsi la confiance dans sa capacité à faire et à progresser. Le travail en groupe crée aussi une dynamique dans laquelle le lien social se rétablit. Chacun travaille à son rythme mais il est une partie du tout qu’est le groupe.
La prévention du vieillissement
Un vieillissement réussi repose sur 5 composantes et le Taiji Quan en recouvre 3 naturellement : activité physique, cognitive et sociale. Un enseignant formé au dépistage de la fragilité pourra apporter une surveillance et orienter les pratiquants vers les spécialistes dans une optique de prévention.
La Faculté de Médecine de Lille propose le DU Longévité et Vieillissement pour une prévention de santé qui commence avant la conception et va jusqu’aux âges avancés.
► Plus d’infos ici : Diplôme Universitaire – Longévité et Vieillissement (Pdf).
Bibliographie
► 1. J.P.Bouchon. 1+2+3 ou comment tenter d’être efficace en gériatrie, Rev Prat 1984, 34:88.
► 2. Peter Wayne. The Harvard Medical School Guide to Tai Chi: 12 Weeks to a Healthy Body, Strong Heart, and Sharp Mind. Harvard Health Publications.
► 3. Huston P, McFarlane B. Health benefits of tai chi: What is the evidence ?, Canadian Family Physician, 2016.
► 4. Yu Xiang, Liming Lu, Xiankun Chen, Zehuai Wen. Does Tai Chi relieve fatigue ? A systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials, University of Edinburgh, 2017.
► 5. Liye Zou, Paul D. Loprinzi, Jane Jie Yu, Lin Yang, Chunxiao Li, Albert S. Yeung, Zhaowei Kong, Shin-Yi Chiou, and Tao Xiao. Superior Effects of Modified Chen-Style Tai Chi versus 24-Style Tai Chi on Cognitive function, Fitness, and Balance Performance in Adults over 55, Brain Sciences, 2019.
► 6. Linda E. Carlson, Erin L. Zelinski, Michael Speca, Lynda G. Balneaves, Jennifer M. Jones, Daniel Santa Mina, Peter M. Wayne, Tavis S. Campbell, Janine Giese-Davis, Peter Faris, Jennifer Zwicker, Kamala Patel, Tara L. Beattie, Steve Cole, Kirsti Toivonen, Jill Nation, Philip Peng, Bruce Thong, Raimond Wong, and Sunita Vohra. Protocol for the MATCH Study: Mindfulness And Tai Chi for Cancer Health: A Preference-Based Multi-Site Randomized Comparative Effectiveness Trial (CET) of Mindfulness-Based Cancer Recovery (MBCR) vs. Tai Chi/Qigong (TCQ) for Cancer Survivors, Contemp Clinical Trials, 2017.
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► 8. Hathiramani S, Pettengell R, Moir H, Younis A. Relaxation and exercise in lymphoma survivors (REIL study): a randomised clinical trial protocol, BMC Sports Science, Medicine and Rehabilitation, 2019.
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