Le Taiji Quan pour la Réadaptation Respiratoire ?
Le Taiji Quan en tant que pratique corps-esprit est adapté à l’accompagnement des patients souffrant de BPCO. Que ce soit directement pour la dyspnée et la fonction respiratoire, ou indirectement pour les comorbidités ; ainsi que pour l’amélioration de la qualité de vie.
Dans l’article de présentation du Taiji Quan et de ses effets sur la santé, la méta-analyse de Huston P., McFarlane B. « Health : Benefits of tai chi: What is the evidence ? » indique un excellent niveau de preuve des bénéfices du Taiji pour la réadaptation respiratoire (nouveau terme adopté dans un souci d’harmonisation des pratiques de réadaptation et qui remplace « réhabilitation » ou « revalidation » chez nos camarades belges).
Réhabilitation respiratoire ?
Le groupe de travail Alvéole de la SPLF a traduit les recommandation de l’American Thoracic Society (ATS) et de l’European Respiratory Society (ERS) 2013 sur le sujet : « La réhabilitation respiratoire est une Intervention globale et individualisée, reposant sur une évaluation approfondie du patient, incluant, sans y être limitée, le ré entraînement à l’effort, l’éducation, les changements de comportement visant à améliorer la santé globale, physique et psychologique des personnes atteintes de maladie respiratoire chronique et à promouvoir leur adhésion à long terme à des comportements adaptés à leur état de santé. »
Il s’agit donc d’équipes interdisciplinaires (ETP, Nutrition, Accompagnement, Psychologique, Kinésithérapie respiratoire, Activité physique adaptée, etc.) et non seulement une pratique physique de réentrainement à l’effort.
Le groupe Cochrane indique d’ailleurs que la réadaptation respiratoire a largement fait la preuve de son efficacité et qu’il n’est plus nécessaire de tester sa validité.
Comment intégrer le Taiji Quan dans ce contexte et que peut apporter cette pratique ?
Dans le cadre des Maladies Respiratoires Chroniques / BronchoPneumopathie Chronique Obstructive (BPCO), Polkey et son équipe [1] comparent le Taiji Quan (style Yang) à un programme de Réadaptation Respiratoire. L’étude intègre 120 participants attribués aléatoirement à deux groupes de 60, pour une durée de 12 semaines ; elle teste principalement le questionnaire de l’hôpital Saint Georges sur les problèmes respiratoires auquel ils ajoutent la mesure du VEMS et un test de marche de 6 minutes.
Les résultats semblent aller dans le sens d’une équivalence entre ces deux pratiques, avec un léger avantage (non significatif) pour le Taiji Quan pour le questionnaire Saint Georges, le test de marche de 6 minutes et le score mMRC ; aucune différence n’est constatée entre les deux pour la VEMS.
Mais…
… Goldstein [2] et Ambrosino [3], dans leurs réponses à l’article de Polkey, tempèrent ce constat ; à juste titre. Ils lèvent plusieurs aspects problématiques :
- La population choisie, des paysans ayant une activité physique élevée (plus de 8 000 pas par jour), n’est pas forcément représentative ;
- L’intensité du programme de Taiji Quan n’est pas augmentée au fur et à mesure de l’apprentissage ;
- La présence de groupe de contrôle, avec médicament, seul aurait été un plus ;
- Pas d’accompagnement nutritionnel, notamment avec des patients donc l’IMC est inférieur à 21 ;
- Le biais culturel d’adhésion à cette pratique peut limiter la transposition à une autre population.
Ambrosino ajoute une remarque supplémentaire, mais primordiale : la pensée magique qui peut accompagner le Taiji Quan via le recours aux médecines complémentaires (comme la Médecine Traditionnelle Chinoise) est potentiellement dangereuses. Plusieurs études, Roumeliotis et al. [4] Johnson et al. [5] notamment, sur le lien entre les médecines complémentaires et certains cancers montrent une surmortalité (du simple au double). De plus, durant la crise sanitaire de ces deux dernières années, des enseignants et pratiquants de Qi Gong, opposés à la vaccination, ont fait la promotion de Qi Gong « Anti COVID » censé leur garantir une résistance au virus ; bien évidemment cette pratique de charlatanisme s’est faite hors de toute recherche scientifique sur le sujet.
Selon l’idée du « mieux que rien », Goldstein et Ambrosino admettent néanmoins que le Taiji Quan peut être une solution lorsque la logistique d’un programme de Réadaptation Respiratoire complet est trop compliquée à mettre en place mais je pense qu’ils minorent les effets délétères de la pensée magique qui peut accompagner la pratique.
Comme précisé précédemment, la Réadaptation Respiratoire n’est pas réductible à une activité physique récréative ou juste à un réentrainement à l’effort, même si celle-ci semble répondre à plusieurs problématiques.
Analyse du Taiji Quan
Il est donc nécessaire de regarder la pratique du Taiji Quan de plus près, notamment à propos des spécificités de la BPCO.
La BPCO est une atteinte de la fonction respiratoire, potentiellement accompagnée d’une dyspnée plus ou moins prononcée.
Plusieurs comorbidités peuvent s’associer à ces atteintes pulmonaires : sarcopénie, troubles anxiodépressifs, troubles du sommeil, troubles cardiovasculaires (dont hypertension), ostéoporose. Il est ainsi logique de s’interroger sur les effets que la pratique du Taiji Quan peut avoir pour ces différentes pathologies.
La pratique du Taiji Quan peut-elle améliorer le VEMS ou le rapport VEMS/CV ?
La revue systématique et méta-analyse de Guo et al. en 2016 [6] portant sur le Taiji dans le cadre de l’amélioration de la fonction cardio pulmonaire et la qualité de vie de patients atteint de BPCO semble aller dans le sens d’un effet légèrement bénéfique.
Celle-ci conforte une autre revue systématique plus ancienne ; Ding en 2014 [7] va aussi dans le sens d’une amélioration de la fonction respiratoire et de la dyspnée.
Il est intéressant de préciser qu’une distinction est opérée entre les études où l’intensité de l’effort est contrôlée et celles qui ne le font pas. Cette séparation reposant sur les niveaux d’intensité sera abordée plus bas avec une argumentation sur la différence entre deux styles de Taiji Quan et le bais potentiel que cela représente de les agréger. Les effets positifs observés sont plus importants lorsque l’intensité est contrôlée. Là encore, une limite importante est à signaler : la taille des échantillons qui est assez faible.
Cependant, d’autres études ne trouvent aucun effet sur le VEMS. Comme c’est le cas du travail de Ratarasarn et Kundu paru en 2019 [8] qui n’identifie aucune amélioration significative.
Mais la qualité des études est variable, comme le montre l’analyse bibliométrique, plus récente, de Zhang et al. en 2020. [9]. Néanmoins, le nombre d’essai contrôlé randomisé est en augmentation (en volume et en pourcentage).
Les études présentant du Taiji Quan style Chen font partie de celles pouvant avoir des effets sur le VEMS (ce qui serait cohérent avec la manière de souffler brièvement lors des frappes), mais cela nécessiterait évidemment des investigations spécifiques sur le sujet pour comprendre le mécanisme.
Pour renforcer cette idée de différentiation des styles, je m’appuie sur des travaux traitant d’aspects différents du Taiji Quan dans le cadre d’une pratique « santé ». La comparaison style Yang / style Chen a été étudié dans d’autres situations (notamment sur les fonctions cognitives, l’équilibre et la capacité aérobie) et montre un effet supérieur du style Chen, même si les séances semblent plus fatigantes. Zou et al. [10]
Un autre argument vient de l’étude de Zhu [11], dans son analyse d’une forme de Taiji Quan (style Yang) modifiée pour les patients souffrant de BPCO. Il y présente les retraits de techniques pour simplifier la pratique, la sécuriser, faciliter l’apprentissage ou améliorer l’adhésion à l’activité ; les mouvements retirés le sont au motif qu’ils sont trop compliqués, peuvent poser un problème d’équilibre ou demandent un effort trop important. Une réelle adaptation devrait être la transformation des mouvements ou une substitution par des éléments plus appropriés mais permettant néanmoins de remplir les recommandations en termes d’intensité d’exercice.
En 2016, Ngai, Jones et Tam [12] publient une revue de littérature Cochrane sur le Taiji Quan dans la réadaptation respiratoire qui pourrait éclairer le débat. L’analyse s’intéresse à deux temporalités, courte (jusqu’à 3 mois) et longue (au-dessus de 3 mois). Dans les deux, cas les études retenues sont peu nombreuses (1 et 3 pour le VEMS, 2 et 1 pour le rapport VEMS/CVF) et les échantillons petits ; ces réserves doivent nous amener à de la prudence dans l’interprétation des résultats. Il semblerait donc que le Taiji Quan ait un effet bénéfique sur le VEMS et le rapport VEMS/CVF par rapport au groupe contrôle.
La revue Cochrane s’intéresse aussi à la dyspnée en comparaison avec les soins classiques. Les scores des questionnaires Saint Georges et Chronic Respiratory Questionnaire sont améliorés pour les groupes Taiji Quan ; avec les mêmes réserves que précédemment (nombre faible d’études, échantillons faibles).
Il semble que le Taiji Quan ait un effet positif sur les effets respiratoires de la BPCO. Mais le nombre d’étude est trop faible. Des études avec des cohortes plus importantes ou des protocoles liés aux différents styles sont nécessaires pour une position définitive sur le sujet ou proposer une explication claire des mécanismes.
Taiji Quan et comorbidités
Sarcopénie
La complexité des mouvements et la coordination nécessaires à la pratique du Taiji Quan peuvent être très élevées. Cet aspect fait souvent oublier que les séances sollicitent les muscles de manière plus ou moins intense sur des durées assez longues (notamment la semi-flexion des jambes et les transferts de poids).
Le Test de Marche de 6 Minutes (TDM6) est quasi systématiquement inclus dans les études comme indicateur des capacités aérobies. Que ce soit les publications de Polkey [1], Guo [6], de Ding [7], la revue Cochrane [12] et les autres études déjà présentées, ou même d’autres travaux sur le sujet comme ceux de Ng [13] ou plus récemment de Wu [14], qui se concentre sur les effets psychologiques mais mesure aussi le TDM6, tous semblent s’accorder sur l’efficacité du Taiji Quan pour améliorer de manière significative les valeurs du TDM6 par rapport à un groupe contrôle sans activité physique.
Les deux questions légitimes qui découlent de ce premier constat sont donc :
- Le Taiji Quan est-il plus efficace que les exercices classiques ?
La revue Cochrane synthétise bien cela et montre une efficacité légèrement plus élevée pour le Taiji Quan. Là encore les échantillons sont faibles.
- Des différences existent-elles entre les styles de Taiji Quan ?
Comme évoqué précédemment, Zou [10] va plus loin en comparant l’efficacité des styles Yang et Chen et conclue que si les deux styles améliorent le TDM6, l’effet de la pratique su style Chen est majoré ; ce qui est compatible avec la différence d’intensité d’exercice.
Troubles anxiodépressifs & troubles du sommeil
Outre le bon niveau de preuve dans le cas des dépressions, le travail de Huston et McFarlane identifie aussi un niveau de preuve acceptable sur le bien-être et l’amélioration du sommeil. Des études plus récentes ont confirmé ces points, comme l’étude de Yeung [15] sur la régulation de l’humeur ou la revue systématique de Wang et al. [16], qui, pour une fois, sépare le Taiji Quan et le Qi Gong et identifie une légère supériorité du Qi Gong pour l’amélioration de la qualité de sommeil.
La méta analyse de Yu Xiang [17] est cohérente avec la littérature portant sur l’activité physique adaptée : la mobilisation de la filière aérobie, est à privilégier pour lutter contre les différents types de fatigue ; l’aspect doux du Taiji Quan et sa réalisation en groupe étant particulièrement bénéfique pour la fatigue nerveuse et les troubles du sommeil de manière générale. Mais plus spécifiquement (une seule étude sur le sujet), l’amélioration dans le cadre de la BPCO n’est pas significative.
Troubles cardiovasculaires (dont hypertension)
Chan [18] compare l’efficacité du Taiji Quan (style Yang) et de la marche rapide sur un échantillon supérieur à 240 personnes ayant des facteurs de risque cardiovasculaires ; répartis aléatoirement, soit 82 par groupe, avec un groupe contrôle (qui ne fait ni Taiji Quan ni marche). L’étude dure 3 mois, à raison de 150 minutes par semaine d’activité d’intensité modérée pour le groupe Taiji Quan et le groupe de marche ; le suivi se fait à 3, 6 et 9 mois plus tard. Par rapport à la marche, le Taiji Quan montre un effet majoré sur l’hypertension.
Ostéoporose
Le prolifique Zou et al. [19] (encore lui) réalise une méta-analyse et une revue systématique sur les effets de la pratique du Taiji Quan en rapport à la densité osseuse. Il convient de préciser tout de suite que la population étudiée ne souffre pas de PBCO ; il s’agit de patientes péri-ménopausées ou post-ménopausées, de survivantes de cancer du sein ou de patients souffrant d’ostéoporose. Les pratiques de Taiji Quan sont variées (dans les styles et les exercices), les durées très hétérogènes (de 12 semaines à 12 mois, de 2 à 7 séances hebdomadaires, de 45 à 90 minutes). Les auteurs concluent que pour de longues durées de protocole (au moins 24 semaines), le Taiji Quan semble avoir un effet sur l’ostéoporose. Cette recherche est-elle extensible aux patients souffrant de BPCO et ayant cette comorbidité ? C’est une piste potentielle à étudier.
Conclusion
Le Taiji Quan en tant que pratique corps-esprit est adapté à l’accompagnement des patients souffrant de BPCO. Que ce soit directement pour la dyspnée et la fonction respiratoire, ou indirectement pour les comorbidités ; ainsi que pour l’amélioration de la qualité de vie.
Il ne s’agit bien évidemment pas d’une pratique se réalisant à la place d’une réadaptation classique, mais au contraire s’intégrant dans une équipe pluridisciplinaire ; c’est une opportunité d’élargissement de l’offre proposée aux patients afin de les aider à trouver une activité physique qui sera maintenue sur le long terme.
Il est impératif d’avoir des intervenants réellement formés à la réadaptation respiratoire prenant en compte les contre-indications à la pratique, les besoins spécifiques afin de respecter les recommandations, utiliser les outils d’évaluation et adapter la pratique aux particularités des patients souffrants de BPCO ; il ne s’agit pas d’une animation en sécurité mais d’une véritable thérapie par l’exercice, s’intégrant dans un processus complet.
Les branches « Énergétique » et « Interne » des arts martiaux sont parasitées par des croyances qui peuvent interférer avec la prise en charge des personnes fragiles et entrainer des retards de soins ou des arrêts de traitements. Il est donc nécessaire d’être vigilant sur les compétences des intervenants alors même que fleurissent les formations courtes de sport santé (pour ne pas dire « express ») de quelques jours au sein de certaines fédérations sportives.
Bibliographie
- Polkey MI, Qiu ZH, Zhou L, Zhu MD, Wu YX, Chen YY, et al. Tai Chi and Pulmonary Rehabilitation Compared for Treatment-Naive Patients With COPD: A Randomized Controlled Trial. Chest. mai 2018;153(5):1116‑24.
- Goldstein RS. Tai Chi Is Not Equivalent to Pulmonary Rehabilitation. Chest. sept 2018;154(3):732‑3.
- Ambrosino N, Polastri M, Vitacca M, Nava S, Clini EM. Tai Chi Recreational Exercise Is Not Rehabilitation. Chest. sept 2018;154(3):730‑1.
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