Anonyme, lutteuse de haut niveau
Témoignage : troubles du comportement alimentaire et sport lutteuse de haut niveau Une sportive de haut niveau nous explique les différentes relations existant entre son sport, la lutte, et les troubles du comportement alimentaire… » J’ai des tailles de vêtements qui vont du 36 au 40 » Propos recueillis en juillet 2008, par Florence Delerue, psychologue.
Pourquoi as-tu choisi la lutte comme sport ?
« J’ai commencé la lutte vers l’âge de 7 ans ; c’est un sport que des personnes pratiquaient dans ma famille. Et j’aime surtout ce contact physique avec l’adversaire. »
Dans quelle catégorie de poids combats-tu habituellement par rapport à ton poids de corps ?
« Le plus souvent, je combats dans une catégorie de poids inférieure à 6 ou 7 kilos de mon poids de corps. »
Combien de temps avant la compétition sais-tu dans quelle catégorie de poids tu vas combattre ?
« Tout dépend de la compétition. Pour les championnats de France, c’est programmé d’avance. Ca dépend également des sélections d’équipe. L’entraîneur choisit les lutteuses qui vont combattre dans telle ou telle catégorie selon leur performance et si une catégorie reste vide, c’est-à-dire sans lutteuse, alors l’entraîneur choisit une lutteuse pour faire partie de cette catégorie. En moyenne, on sait dans quelle catégorie on concourt environ un mois avant la compétition. »
Quand commences-tu le régime ?
« Avant, je faisais des régimes « catastrophes », ce qui veut dire que je devais encore perdre trois kilos, deux ou trois jours avant la pesée. Maintenant, je m’y prends à l’avance pour perdre ces 6 kilos en moyenne. Plus on est jeune, plus on fait des régimes catastrophes ; avec le temps, on apprend à faire attention. »
Comment fais-tu pour perdre ces 6 ou 7 kilos peu de temps avant la compétition ?
« Je réduis toutes mes quantités. La dernière semaine, je mange un ou deux fruits le midi et une soupe le soir. Cela m’est déjà arrivé de ne pas manger du tout pendant deux jours avant la pesée et de ne pas boire pendant un jour et demi. Et pour être au poids, je devais mettre ma sudisette et courir dans le sauna. On essaye de repousser la perte de poids au plus tard possible ; on attend d’être au pied du mur, et là, c’est catastrophique. »
C’est une vraie souffrance à la fois physique et psychologique…
« C’est une souffrance terrible. On est dans un autre état. On ne sait plus quand on a faim ou pas. En fait, on a mal au ventre tout le temps. C’est très particulier : on mange à peine, on se pèse ; on boit, on se pèse. De janvier à juillet, je perdais 6 kg toutes les deux semaines. J’avais mes règles toutes les deux semaines puis je ne les avais pas pendant un ou deux mois. En plus des problèmes hormonaux, les problèmes physiques comme les blessures sont fréquents voire permanents. On ne s’arrête jamais ; on combat avec les blessures. En grandissant, on fait plus attention à notre santé, on prend des compléments alimentaires, pour avoir moins de carences.
Comment se passe le moment de la pesée ?
« Après la visite médicale, on doit se peser en maillot. On enlève tous les sous-vêtements. On connaît le poids de chaque sous-vêtement et surtout, on s’est pesée avant la pesée officielle ; tout est calculé.
» En un week-end, on peut prendre 4 kg. Il m’est arrivé, juste après la pesée, de manger un fromage de brie presque en entier, puis des tablettes de chocolat et ça, avant d’aller au restaurant. Je ne savais plus me lever, ni marcher, je rampais… ». Mais si, avant la pesée officielle, notre poids est supérieur à celui de la catégorie, on enfile la sudisette et on va courir. Et là, on a besoin des autres. Une lutteuse a même dû se couper les cheveux pour être au poids parce qu’elle n’arrivait pas à perdre les 200 derniers grammes : c’était le régime de trop. »
Justement, y a-t-il une solidarité entre les lutteuses lors de ces régimes ?
« Enormément. Chacune motive l’autre, comme dans un sport collectif. On se dit : « tu ne craques pas, je ne craque pas ». On essaye presque d’en faire un jeu. Si une fille souffre, une autre fille qui n’a pas de problème de poids l’emmène courir et la motive. »
Quel rôle tient l’entraîneur pendant ces régimes ?
« Il est derrière nous psychologiquement. Il nous soutient beaucoup. On en a besoin. » « Le régime est tellement une grosse frustration ; on se jette sur tout ! »
Que se passe t-il après la pesée ?
« C’est le « craquage », la « liberté ». C’est la première victoire. C’est le problème des régimes : on pense d’abord au poids et ensuite à la compétition. Et après la pesée, c’est la libération. Souvent, avant la pesée, on va faire les courses dans un supermarché et là, on se fait plaisir. On achète tout et n’importe quoi, et le problème, c’est qu’on sait très bien qu’on ne va jamais manger tout ça. Mais on se fait du bien. Le régime est tellement une grosse frustration ; on se jette sur tout ! Même si on a mal, si on n’a plus faim, on mange, tellement on a été frustré. Et pour manger encore et encore, on vomit ce qu’on vient d’avaler. C’est à cause de la privation. En un week-end, on peut prendre 4 kg. Il m’est arrivé, juste après la pesée, de manger un fromage de brie presque en entier, puis des tablettes de chocolat et ça, avant d’aller au restaurant. Je ne savais plus me lever, ni marcher, je rampais… »
Et le jour de la compétition ?
« A partir de ce moment-là, ce qu’on mange, c’est pour la performance ; c’est adapté à la performance. Le jour de la compétition, c’est la compétition, il n’y a plus de frustration. On se sent lourde à cause du sucre, du « trop mangé », les muscles sont parfois tétanisés à cause de la mauvaise alimentation ou de la déshydratation. Par contre, après les jours de compétition, les excès reviennent et on reprend les kilos qu’on a perdus. »
En dehors des périodes de compétition, essaies-tu de tenir une hygiène de vie irréprochable, de faire attention à ton poids ?
« Non, c’est du « n’importe quoi ». On ne s’alimente pas comme un sportif de haut niveau devrait le faire. Il m’a fallu un an pour retrouver un poids de corps ; je n’en avais pas avant. En une semaine, hors période de régime, je variais de 3 kg. En une soirée, j’ai déjà pris 3 kg. J’ai des tailles de vêtements du 36 au 40. On ne fait jamais vraiment attention à notre poids parce qu’on sait qu’on peut perdre 3 kg en une semaine. On ne pense pas à la performance. Avec l’expérience, oui, on fait attention ; on apprend à faire un régime sans grande frustration, en allant voir la diététicienne par exemple. »
S’imposer un régime draconien avant la compétition te procure t-il la « niaque », une motivation supplémentaire lors du combat ? Te dis-tu « Je n’ai pas fait tout ça pour rien » ?
« Oui. Tout à fait. On n’aborde pas la compétition de la même manière si on n’a pas fait de régime. Mais ça se voit plus chez les hommes. Et même quand je ne dois pas faire de régime pour être dans une catégorie de poids, j’ai le même comportement alimentaire après la pesée que si j’avais fait régime : c’est comme un comportement appris et répété. »
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